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MAROC - Francophonie : Multilinguisme et Organisations internationales ?

MAROC - Francophonie : Multilinguisme et Organisations internationales ?

Entretien entre Dominique Hoppe et Saïd Frix

« …Qu’on le veuille ou non, les OI sont par nature le principal outil de la mondialisation. Leur diversité linguistique, culturelle et conceptuelle est donc une condition sine qua non d’une gouvernance mondiale juste… »

6 mai 2013 - par Saïd Frix 

Vous avez mis en exergue le rôle que joue le français dans le fonctionnement des organisations internationales en tant que langue de travail, officielle, de communication…Alors que les organisations précitées ne sont qu’un élément du contexte global international où l’on trouve d’autres langues. Par conséquent, peut –on arriver à donner la vraie image de la langue française rien qu’au niveau des organisations internationales ?

Dominique Hoppe, président de l’Assemblée des fonctionnaires francophones des Organisations internationales
Ph : Aimablement prêtée par l’AFFOI

Les organisations internationales ne sont en effet qu’un élément des relations multilatérales, mais un élément particulièrement important puisque leur rôle est de traduire en termes pratiques l’expression politique commune, justement définie dans un contexte plus large, des États qui les composent. Leur fonctionnement est régulé par des statuts qui en définissent les règles y compris linguistiques. On peut dès lors considérer que ces règles ont valeur de référence et que leur respect implique des pratiques linguistiques conformes à ce qui est prescrit. Dans ce cadre formel, il est donc facile de décrire la place de la langue française et de toutes les autres langues dans le fonctionnement d’une organisation particulière. Mais cela n’est certainement pas représentatif de la place réelle de chaque langue dans le contexte global international même si les choix faits n’ont pas été faits par hasard. Cependant les organisations internationales sont des entités à composantes humaines. Dès lors, comme tout environnement humain elles se régulent autour de l’interprétation des règles mais aussi, et peut-être surtout, par des rites, des us et des coutumes qui finissent par composer les cultures professionnelles qui leur sont propres. Composées d’agents naturellement influencés par la vision du monde inhérente à leur culture d’origine et par la culture linguistique particulière de l’OI au sein de laquelle ils travaillent, les OI ont donc des réalités linguistiques bien plus complexes qu’on ne pourrait le croire. Elles sont évolutives, sensibles aux tendances, aux fluctuations, aux aléas politiques et sociologiques. L’appréciation de l’évolution de l’emploi des langues en leur sein peut donc non seulement donner une idée assez juste de la place d’une langue dans le contexte global mais représente probablement également une bonne image des grands équilibres linguistiques mondiaux.

Un vrai monolinguisme existe-t-il vraiment ? (on a notre propre langue et l’on parle d’autres langues qui nous sont imposées, c’est la langue de l’autre). Comment donc le monolinguisme peut –il nuire à l’équilibre de représentativité des Étas au sein des organisations internationales ?

Le monolinguisme existe bien, soyez-en sûr ! C’est déjà une évidence mathématique. Il y a beaucoup plus de gens sur terre qui ne parle qu’une seule langue que de personnes qui en parlent plusieurs. Il serait d’ailleurs intéressant d’analyser le multilinguisme par continent. Je suis persuadé que l’Afrique serait bien en avance sur tous les autres en ce qui concerne le multilinguisme. Par contre ce "monolinguisme par manque de connaissance d’une autre langue" n’est pas la forme de monolinguisme qui touche les organisations internationales. De fait, les agents travaillant en milieu multilatéral sont la plupart du temps polyglottes ou tout au moins bilingues. Il y a une bonne raison pour cela. Les Etats souverains qui les ont constitués avaient conscience de l’importance de conserver une forme de diversité linguistique pour qu’aucun pays ne puisse, par une meilleure connaissance de la langue employée, dominer les autres. Cet esprit, s’il est toujours présent dans les textes, a malheureusement, sous la pression de l’urgence, de la standardisation des pratiques et de fallacieux prétextes budgétaires, tendance à disparaitre dans la réalité quotidienne. Aussi, bien que polyglottes, les fonctionnaires internationaux intègrent de plus en plus des pratiques et des habitus linguistiques qui utilisent l’anglais exclusivement. Et peu à peu le cercle vicieux du monolinguisme intègre les cultures professionnelles des OI et devient la norme, imposant ainsi une langue unique pour une pensée unique. Et ce monolinguisme imposé ne peut que nuire à l’équilibre de représentativité. Une langue n’est pas neutre, elle est la projection d’une certaine vision du monde. N’en utiliser qu’une implique donc de se concentrer sur une vision unique. Il y a aussi le déséquilibre de capacité d’expression. Sur des dossiers difficiles, sensibles, subtils, techniques, il faut pouvoir s’exprimer dans une langue que l’on possède vraiment. Et croyez-moi, de nombreux locuteurs qui s’expriment dans ce qu’ils croient être de l’anglais le font en fait dans un "globish international" qui laisse peu d’espace à la subtilité. Ce monolinguisme-là est un véritable danger pour la démocratie.

Comment pourrait-on concrétiser le multilatéralisme, le multiculturalisme et le multilinguisme qui sont cités dans le "Manifeste en faveur de l’usage du français et de la diversité linguistique et culturelle dans les Organisations Internationales" publié et promu par l’AFFOI ?

La question est vaste et il est impossible d’aborder tous les aspects politiques, culturels, diplomatiques, sociologiques et structurels en quelques lignes. Pour y répondre dans un espace limité je vais donc exclusivement aborder les aspects pratiques à partir de deux environnements trop souvent confondus. Le multilatéralisme des grandes conférences internationales qui fixent les lignes stratégiques des OI à moyen et long terme ; et le quotidien des OI.
En ce qui concerne les grandes rencontres internationales, un peu de discipline autour des textes formels et un peu de bon sens de la part des représentants officiels des Etats aurait déjà un effet spectaculaire. Comme vous le savez les règles linguistiques des grandes rencontres permettent souvent aux participants de s’exprimer dans leur langue. Leurs propos sont alors traduits. C’est tout le sens des langues officielles qui sont plus nombreuses que les langues de travail. L’ONU par exemple a 2 langues de travail (français et anglais) mais six langues officielles (Arabe, chinois, espagnol, russe, français et anglais). La Commission Européenne a, quant à elle, opté pour 23 langues officielles (toutes les langues des pays membres) et trois langues de travail (français, anglais allemand). On pourrait donc imaginer que, dans ce cadre en tous cas, les représentants des Etats utilisent cette possibilité de parler leur propre langue. Et pourtant non. Ils sont encore nombreux à préférer s’exprimer dans un anglais approximatif que les traducteurs peinent parfois à retranscrire dans la langue d’origine de celui qui s’exprime tant le niveau est parfois médiocre. Ne touche-t-on pas à l’absurde ? Face à ce problème les 77 pays de la Francophonie ont donné en 2006 des directives officielles à leurs représentants au travers du« VADE MECUM relatif à l’usage du français dans les organisations internationales »rédigé durant le Sommet de Bucarest. Pourtant le problème perdure. Par snobisme mal placé, par provocation ou par sentiment d’être plus crédible dans la communauté internationale, certains représentants, décidant d’ignorer les consignes officielles, continuent à nuire aux intérêts de leur nation en s’obstinant à parler anglais plutôt que leur propre langue. Mettre fin à ces pratiques absurdes serait déjà un grand pas dans la bonne direction.
Au sein des OI le problème est plus complexe. Le monolinguisme relève désormais d’autre chose que de la capacité à s’exprimer. C’est maintenant un phénomène culturel quasi inconscient qui a mis plusieurs décennies à se mettre en place et auquel il est difficile de résister sans se marginaliser ou prendre des risques en termes de carrière professionnelle. Qui plus est, le phénomène est renforcé par les effets culturels et conceptuels liés à l’utilisation d’outil et de concepts exclusivement anglo-saxons. Il faudra donc beaucoup de temps avant que le sein équilibre auquel aspire l’AFFOI ne soit à nouveau le quotidien de nos organisations. Mais nous avons quand même quelques pistes sur le « comment ? ». L’AFFOI a par exemple publié le « Kit du fonctionnaires francophones des organisations internationales » dont un large usage par l’ensemble de la communauté francophone des organisations internationales permettrait de redonner au français une place importante dans le quotidien des OI. Cela aurait pour vertu de rééquilibrer la dualité linguistique, première étape d’un retour à la diversité. Pour accélérer le processus, il serait utile aussi de faire des études démontrant la fallacieuse illusion des effets positifs du monolinguisme. Certaines études commencent par exemple à prouver que le coût du monolinguisme pour la société est bien plus élevé que les économies faites par les OI. C’est en fait un transfert de cout qui augmente finalement la note. Voilà le genre d’argument à même de faire réfléchir les acteurs. Mais en tous cas, pour changer les choses, il faut informer plus, diffuser plus et convaincre plus. Et pour cela des actions médiatiques et une participation plus avérée de la société civile sont nécessaires.

Dans le but de réaliser les résultats escomptés, il faut d’abord partir d’un diagnostic très récent, tracer des objectifs très ciblés et élaborer un plan d’action ou une stratégie qui prendra en considération les changements qui affectent la scène internationale. Vous avez une idée de ce plan d’action qui s’assigne pour objectif de défendre la diversité linguistique ?

La diversité linguistique n’est qu’un moyen au service d’une représentation plus démocratique et plus équilibrée des Etats au sein de la gouvernance mondiale. Tout plan ambitieux doit donc partir de cette volonté et commencer par une révision des statuts et du fonctionnement de la plupart des OI qui, pour leur majorité ont été créées au lendemain de la seconde guerre mondiale dans un contexte politique particulier bien différent de celui d’aujourd’hui. Ensuite, pour être très schématique les grandes étapes devraient être :

1. Une prise de conscience publique.
Malgré le pouvoir qu’elles ont sur le développement du monde (pensez à l’influence du FMI ou la Banque mondiale dans le fonctionnement des pays touchés par la crise depuis 2008), les OI ne sont pas le résultat de processus démocratiques. Ce sont des technocraties gouvernées par les Etats souverains. Mais lorsque ceux-ci ne trouvent pas de voies politiques consensuelles, ce qui est souvent le cas en période de crise, les OI continuent de fonctionner. La nature ayant horreur du vide, elles comblent alors le vide stratégique par des démarches de nature exclusivement technocratiques qui font sens en terme de mission professionnelle mais qui peuvent parfois être éloignées des intérêts des peuples. Et pourtant ces peuples semblent ignorer la réalité. Ils vont éventuellement se plaindre sur les résultats mais rarement se considérer comme des acteurs directs ayant un pouvoir d’intervention. Il faut que la société civile se réapproprie les organisations internationales ; qu’elle se rende compte de leur importance mais également du pouvoir qu’elle peut avoir sur elles au travers de ses élus et des médias. Forte de cette capacité d’action, il devra ensuite exiger transparence et capacité d’intervention. Après tout, ces organisations lui appartiennent et non le contraire.

2. Une volonté politique ferme
Il faut clairement une volonté politique pour intervenir. Et aussi surprenant que cela puisse paraitre, les politiques, souvent pris dans des logiques nationales et des jeux de pouvoirs locaux ne sont pas toujours aussi présents et vigilants qu’ils devraient l’être au sein des organisations internationales. La prise de conscience publique citée au point précédent devrait avoir pour effet direct une volonté politique accrue.

3. Un développement contrôlé sur le terrain
Si les États pouvaient s’exprimer publiquement avec fermeté sur leur volonté de remettre la diversité linguistique culturelle et conceptuelle au cœur du fonctionnement des OI, les entités comme l’AFFOI pourraient très facilement mettre en place des dispositifs de suivi et de contrôle pour encadrer le processus. Généralement polyglottes, les fonctionnaires internationaux auraient peu d’efforts à faire pour s’adapter à ces nouvelles logiques diversifiées qui furent de fait leur quotidien à une certaine époque.

4. Une coordination transversale.
Les organisations internationales ayant différents objectifs (leurs missions techniques particulières), différentes dimensions (de quelques dizaines à plusieurs dizaines de milliers d’agents), différentes langues (de 1 à 23) et couvrant différents espaces géographiques (monde, régions,..), le processus ne pourra être vraiment global que s’il est accompagné d’une forme de coordination transversale à toute les OI, affranchie des missions spécifiques de chacune et concentrée sur la diversité nécessaire à toutes. Là encore, des entités comme l’AFFOI, par nature transversales, aux OI pourraient jouer un rôle important en termes de communication et de coordination. Mais cette coordination ne pourra être mise en place que si les états membres qui siègent aux différents conseils d’administration en expriment la nécessité et l’impose aux OI.

Lorsqu’on défend la diversité linguistique et l’équilibre démocratique de la gouvernance mondiale, peut-on réaliser ces objectifs d’une manière unilatérale ? Ou est- ce que toutes les organisations internationales sont tenues de réaliser un travail de concertation ?

Il est en effet nécessaire d’apporter une forme de coordination transversale à ce jour inexistante. Mais ce travail de concertation ne pourra se faire qu’à condition que les autres étapes évoquées soient elles-mêmes suivies. Et pour cela il faudra commencer par faire comprendre aux OI elles-mêmes qu’elles ont une mission commune qui dépasse leurs missions personnelles, concept totalement inexistant à ce jour et dont l’acceptation serait en soi une révolution au sein des environnements souvent hyperspécialisés du multilatéral.
Qu’on le veuille ou non, les OI sont par nature le principal outil de la mondialisation. Leur diversité linguistique, culturelle et conceptuelle est donc une condition sine qua non d’une gouvernance mondiale juste. Aussi, si cette diversité a un coût, elle n’a par contre pas de prix. Pour la préserver il est important et de plus en plus urgent d’agir. Pour ma part je suis intimement convaincus que les déséquilibres qui ont provoqué la crise mondiale dans laquelle les pays se débattent depuis 2008 relèvent également du manque de diversité des modèles et donc des possibles. S’engager pour la diversité linguistique culturelle et conceptuelle au sein des organisations internationales c’est donc aussi s’engager pour un monde pluriel plus facilement respectueux de chacun, plus riche, plus ouvert et ultimement plus à même de faire face aux moments difficiles.

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