Atelier Microfictions
animé par Milena Mikhaïlova MakariusConsigne : la dernière phrase doit être « C’est tout ce qu’il voulait savoir » en référence à la microfiction de David Thomas « La main du petit garçon » (Seul entouré de chiens qui mordent, Editions de l’Olivier, 2021, p. 34.
Le danseur au lys porte en lui un rêve qu’il n’a jamais fait réalité. Il a toujours été un mauvais parti, il s’y est résigné : dix pièces de cuivre la saison — vingt s’il est chanceux. À aucune femme il ne demanderait de tenir un foyer là-dessus… à peine s’en sort-il seul. Chaque jour pourtant, il regarde d’un œil attendri les enfants mimer ses mouvements à quelques pas de lui. Toutes ses chansons commencent ainsi : « Enfant, enfant qui ne m’est permis, dis-moi, dis-moi que tu es en vie ! ». Après quoi il peut raconter l’amour des fleurs des champs, ou les plus glorieuses batailles, il se sent toujours protégé.
Une petite fille en particulier aime venir le voir danser : elle se lève aux aurores pour avoir le temps de se rendre au bord de la rivière… elle traverse ensuite tout le village jusqu’à glisser, dans le chapeau du danseur, les galets les plus beaux qu’elle a trouvés. Il manque une dent à son sourire, mais jamais elle ne paraît triste sur la grand place. Lui, tous les jours, guète son arrivée, et quand il entonne « Enfant, enfant qui ne m’est permis », il espère un peu que ce soit elle, son enfant rêvé.
Avec le temps, c’est comme s’il ne danse plus que pour la voir sourire. Elle a beau porter cette robe rapiécée et avoir les mains couvertes de terre, c’est sa petite à lui, celle qui vient toujours. Les maigres trois sous qu’il fait tinter ne l’intéressent plus autant. Afin qu’elle ne s’ennuie pas, il s’efforce de trouver de nouveaux mouvements, de nouvelles chansons, et ce jeu les comble secrètement.
Un jour pourtant, l’enfant n’apparaît plus. Il fait beau, ce jour-ci, mais jamais la danse n’est parue si terne. Nul n’ose remplacer le regard émerveillé de la petite fille. Ne tenant plus, il s’arrête en plein milieu et demande à chacun si il a vu l’enfant. Les minutes qui s’écoulent lui semblent interminables. Une vieille dame enfin lui dit en ces termes : « L’est malade vot’ petite. Un serpent l’a mordue au bord de la rivière. Quel dommage que ses parents aient pas de quoi payer un médecin ! »
Le danseur ne réfléchit pas et parcourt toute la ville. Mais aucun médecin ne reçoit le danseur, il est bien trop pauvre. Il n’y a qu’un apothicaire pour le prendre en pitié et lui indiquer la mixture qui sauve du venin. Pour la première fois, la ville entière voit le danseur chanter hors de la grand place, jusque dans les ruelles. Les mains tendues, il élève sa voix : « Lys, lys de la madonne, lys qui sauvera une enfant ! ». Il va ainsi longuement sans trouver ni lys, ni vendeur de lys. Le danseur n’a d’autre choix que de partir, plus courant que dansant, vers le monastère le plus proche. C’est toujours plus courant que dansant qu’il rapporte la fleur blanche et son bulbe à la ville.
On porte le lys à la demeure de l’enfant. La nuit commence à tomber. Grelottant de froid et de faim, le danseur prend place contre le mur de la pauvre maison. La préparation du remède demande du temps. Il ne trouve pas le sommeil cette nuit. Au petit matin, les parents le découvrent devant la porte. Emplis de gratitude et d’humanité, ils lui proposent le couvert. Mais celui qu’on appellera le danseur au lys se met à chanter : « Enfant, enfant qui ne m’est permis, dis-moi, dis-moi que tu es en vie ! ».
Le danseur ramasse d’une main la fleur blanche que la fillette, sans pouvoir encore se lever, tient à lui donner. Il s’en va vers la place dans des pirouettes qu’il a toutes composées pour elle. L’enfant est en vie.
C’est tout ce qu’il voulait savoir.