Consigne
par Jean-Michel Devésa
A été distribué un extrait du premier roman de Laurent Mauvignier, Loin d’eux (1999). En son sein, ont été isolés des éléments reconstitués en syntagme : « le silence entre nous depuis si longtemps ».
Ce sera le titre du recueil de nouvelles écrites par les étudiant.e.s de FABLI. Celui-ci contiendra une nouvelle de chacun.e d’entre eux.elles laquelle :
– aura une longueur de 6 feuillets (maximum) ;
– sera titrée comme son auteur.e l’entendra (mais elle peut aussi ne pas avoir de titre) ;
– est écrite de semaine en semaine (d’abord un synopsis et un incipit ; ensuite à raison d’un feuillet par semaine, de sorte que le texte soit relu, poli, remanié, ciselé ; avec en perspective, une période de repos et de latence ; avant une relecture/correction finale qui précèdera la réunion en recueil collectif, fin janvier).
Les nouvelles seront distribuées dans le volume par ordre alphabétique des noms (patronymes ou noms d’auteur) de leurs auteur.e.s.
Les étudiant.e.s ont le choix d’utiliser le syntagme « le silence entre nous depuis si longtemps » comme incipit ou bien de la placer dans le corps de la nouvelle ; ils.elles peuvent aussi ne pas le mentionner de toute la nouvelle.
Le lecteur ne s’étonnera pas de cette histoire qui ne montre pas grand-chose, qui ne signifie rien, si ce n’est la lente agonie d’un rien, et qui n’aboutit à rien, et dont le récit, il semblerait, commence par ces termes fâcheux : Sérail des Louves. Et s’il est nécessaire, le décor, alors il le faut poser.
Il s’agit là d’un temple, d’un temple qui a toujours existé, sans que l’on sache comment, sans que l’on sache pourquoi, mais qui, avec le temps, contrasta avec ceux environnants. On ne saurait le décrire n’étant à la fois guère beau ni guère laid. C’est une neutralité de tons, une arcade d’arabesques reposant sur des pans de murs ébréchés, cassés, déchiquetés, et sur des colonnes jonchant le sol, elles ne remuent plus, ne servent plus, ne calent plus, car à quoi bon à présent ; et sur un perron de marbre, pâmé par endroits, et la chute a été fatale, et on ne risque plus rien maintenant, à l’époque risquait-on quelque chose ? ; et sur une porte engouffrée, elle est ouverte, grande ouverte, zyeutant à ses pieds une bougie qui ne cesse d’être allumée, on attire le visiteur ici ; et sur une végétation glissant, coulant, s’embranchant dans ce que l’on peut appeler vulgairement des brisures, des failles, des trous du temps ; et sur des fenêtres à meneaux, grandes, ne laissant désormais plus entrer la lumière. On ne peut plus qu’observer, pauvres témoins, la faiblesse d’une lueur, à l’intérieur, là où règnent les magnificences presque éteintes de ce palais alchimiste.
Cinq chambres s’embrassent dans un cercle infini de portes battantes, pivotantes, coulissantes, de passages à demi-dévoilés, secrets, inscrits seulement sur des lèvres souriantes, parce qu’ici c’est qui couche avec qui, qui sait qui est avec qui, qui invite qui, qui louche sur qui, qui bave sur qui, qui tue qui. Unique lieu de paix, le salon de thé, au milieu de ce cycle de couches. Ici, on n’y vit pas. On n’y parle. On n’y assassine pas. On n’y parle pas. On n’y couche pas. On n’y parle. Et c’est qu’on y pense, aussi, parfois. Ce salon de thé - cinq fauteuils, cinq tasses et une table - n’est pas riche. S’il eût été riche, la face du monde en aurait été changée. Mais ce n’est pas le cas. Çà et là, une poussière âcre, noire, blanche, rouge, est dispersée en petits tas. Voici les cendres de leur mère.
Les cinq filles n’ont plus belle allure. Jadis, on aurait dit qu’elles étaient admirables, mais le temps file, et leurs filles les ont précédées, les ont foulées, là, à leurs pieds, et si elles se souvenaient que ces mêmes pieds avaient eu besoin d’elles, un jour, alors n’auraient-elles peut-être pas renié leurs racines, craché aux visages de leurs génitrices, coupé les liens. Bave cruelle de ces sous-elles. Elles n’habitent plus là, d’ailleurs. Elles circulent plus vite, elles. Elles fusent, se fondent, se fendent dans un essoufflement grotesque. C’est maintenant qui veut ça. Les mères restent là. Elles boivent. Elles ruminent l’antan d’un temps lent où monument et chant fondant en un courant océan apparaissaient aux doigts de leur amant. Il ne vient que peu, lui. Et on se meurt ici. Et personne ne fait rien.