La consigne : réécriture d’un texte de Gianni Rodari, « Tant de douleur pour rien », Le Livre des erreurs, trad. Jean-Paul Manganaro, Ypsilon éditeur, 2020. Voici son début :
« Un brave monsieur de l’Ain ou de l’Aisne rêva des années durant d’obtenir quelque titre honorifique. Finalement, grâce à de puissantes recommandations, il parvient à se faire décorer du titre de « chevalier ».
Mais imaginez sa déception et sa douleur lorsque le titre arriva et qu’il découvrit qu’on l’avait fait… « chevallier », avec deux « l ».
— Qu’ai-je donc à faire d’un titre erroné ? se plaignait-il auprès des siens. Les gens vont rire de moi.
Les gens avaient d’autres soucis en tête. Mais ce brave monsieur de Tours ou Saint-Estèphe n’eut de répit qu’il n’eut confié ses peines au puissant personnage qui l’avait recommandé.
— Nous allons prendre tout de suite des mesures, le consola le personnage. Je vais te faire commandeur.
Cette nouvelle se sut à l’entour. Tout le monde courait se féliciter avec l’attitré.
Le titre arriva dans un paquet scellé avec de la cire à cacheter. Le brave monsieur de Lyon ouvrit le paquet les mains tremblantes et… tomba au sol dans les pommes.
Le pauvre ! On l’avait fait « comandeur » avec un seul « emme ». (…) »
« Désolé. »
Je le regardais droit dans les yeux. Ils étaient aussi clairs que le ciel en pleine journée, pourtant, je n’y voyais que des nuages. Dedans se mouvait la pluie et un orage plus profond grondait au loin. Je sentais le tourment de son âme, son palpitant qui se serrait. Son regard était un harpon qui m’agrippait si fort qu’il en devenait plus douloureux que son corps. Je ressentais ses émotions si puissantes qui se voulaient pourtant discrètes. Je n’étais qu’un imbécile. Un imbécile qui restait planté là, à regarder son visage tordu par la souffrance, sans savoir qui dire ou quoi faire. Je voulais lui prendre la main, lui dire que j’étais un misérable. Me mettre à genoux devant lui, jurer que ça n’arriverait plus et le prendre dans mes bras pour partager sa peine. Mais cette force qui émanait de lui me brisait et ses émotions m’écrasaient. Dans son regard les nuages de pluies torrentielles se chargeaient d’électricité. Je sentais un vent terrible passer entre nous, cassant les derniers fragments du lien qui pouvait nous unir. Je baissais la tête, voyant ces filaments se désintégrer face à la puissance de cet ouragan qui me faisait face. Je ne dis rien, je me pliais, me faisant petit. Je n’étais rien face à cette puissance. Je n’avais rien à dire, j’étais en faute.
« Pars d’ici. »
Sec. Violent. Terrifiant. Sans plus attendre, j’ai pris mon sac, mon manteau et j’exauçai son souhait. Dehors, le ciel était magnifique. Je me tournais vers ce crépuscule lumineux. Rien ne semblait plus beau que cette vision du bonheur. Une silhouette se découpa dans ce paysage si idyllique. Je l’avais déjà vue dans les lueurs d’une lumière sensuelle pour un instant charnel. Elle revenait vers moi, comme réconfortante. Une vision faussée du bonheur. Non. Pas cette fois. Je me détournais d’elle préférant la nuit qui arrive au soleil qui se couche. Je ne voulais plus céder à mes instincts, passer un temps auprès d’une autre âme affamée, céder à la tentation facile, je devais me battre pour ne pas trahir ce corps et ce cœur que j’aimais. Je ne ferais plus la même erreur.