Les Carnets Vanteaux avec l’atelier Microfictions
animé par Milena Mikhaïlova MakariusConsigne : réécriture de la microfiction « Lexomil » de Régis Jauffret, (Microfictions, éd. Gallimard, 2007, Folio, p. 565) dont voici le début et la fin :
— Je suis une femme qui ne dort pas souvent.
Ma fille vient d’avoir dix-huit ans. Je me dois d’entrer plusieurs fois chaque nuit dans sa chambre pour surveiller son sommeil. Quand je la sens nerveuse, je m’allonge à côté d’elle jusqu’au matin. J’ai toujours peur qu’elle prenne peur dans un rêve, et se réveille après avoir fait une chute du haut de la statue équestre qui est en face de chez nous…
(…)
Bientôt elle ne quittera plus son lit. Je la nourrirai à la cuillère, et je m’occuperai à nouveau d’elle comme d’un bébé.
Placard à pharmacie
Par Charlie Houël
« Je suis une mère qui dort trop. »
Ma fille vient d’avoir 31 ans. Depuis peu, je n’entre plus dans sa chambre la nuit pour surveiller son sommeil. Mon corps est fatigué de s’occuper de mon bébé. Ma tête est un peu brumeuse, les jours se mélangent. Son sommeil n’est plus agité, et elle ne se lève plus si souvent qu’avant. Il y a quelques mois j’ai enfin dû commencer à commander des couches. Dans la journée, je reste auprès d’elle autant qu’il se peut, même si parfois je me réveille d’une sieste involontaire. Trois heures ont généralement passé, et je retrouve les placards de la pharmacie entrouverts. Je surveille toujours ma fille, mais ma vieillesse me fait oublier des choses. Parfois le téléphone sonne, alors que je pensais l’avoir débranché il y a longtemps. J’ai dû prendre la décision de le jeter, pour être plus sûre.
Son corps immobile devient trop lourd pour mes muscles. Voilà longtemps que je ne cherche plus à la secouer lorsqu’elle s’endort dans son bain.
« Dors mon bébé, tu ne dois t’occuper de rien. »
Depuis une semaine, elle ne bouge plus lorsque je lui demande de manger. Le Lexomil lui donne une odeur étrange, dérangeante parfois. Elle en oublie même de cligner des yeux, alors je les laisse fermés.
Le stock de Lexomil part beaucoup plus vite qu’avant, même si je n’ai pas augmenté la dose. Mes mains tremblantes versent la poudre dans le chocolat, et bien que mes yeux fatigués ne fassent pas leur travail si bien qu’avant, je sais que j’ai mis pile ce qu’il faut. Ma fille ne coopère pas, sa bouche reste close. Je ne vais pas gâcher du si bon chocolat, alors je le bois à sa place. Lorsqu’un asticot se faufile hors de son œil, je le retire avec tendresse et redresse son corps inerte avec difficulté. Bientôt, je ne quitterai plus son lit. Je m’endormirai à ses côtés, et nous serons de nouveau toutes les deux, loin du monde à jamais.