Atelier Microfictions
animé par Milena Mikhaïlova MakariusConsigne : la dernière phrase doit être « C’est tout ce qu’il voulait savoir » en référence à la microfiction de David Thomas « La main du petit garçon » (Seul entouré de chiens qui mordent, Editions de l’Olivier, 2021, p. 34.
La première chose que la maman de Tao remarqua à sa naissance fut ses yeux, curieux. Tao passa son enfance à poser des questions à ses parents, des questions sur tout ce qu’il voyait, sentait et imaginait. Malheureusement, il n’existait pas assez de réponses pour endiguer ce flux constant.
Devenu adolescent, Tao entendit parler d’une montagne lointaine où vivait un ermite qui, disait-on, connaissait la réponse à toute interrogation. Le garçon ne réfléchit pas longtemps avant de préparer un baluchon avec assez de vivres pour le voyage et de se mettre en route. Il ne savait pas depuis combien de temps il était parti de chez lui lorsqu’il s’engagea sur un chemin qui montait au cœur d’un sommet enneigé. L’escalade lui prit encore plusieurs semaines et au terme de son périple, il trouva une caverne creusée dans la pierre par la force de l’eau de pluie. Tao s’engagea dans la grotte étrangement chaleureuse pour se trouver face à face avec un vieil homme minuscule qui souriait de toutes ses dents.
– Maître, êtes-vous le sage qui répond à toute interrogation ?
– Je ne prétends pas tout savoir, mon garçon, je sais ce que la vie m’a enseigné. Pose-moi tes questions et nous verrons bien si j’en ai des réponses.
Tao passa les journées suivantes à demander au vieil homme des explications aux pensées qui l’empêchaient de dormir la nuit. Au bout d’une semaine, alors que le flot ne s’était pas tari, l’ermite demanda à son jeune visiteur : « Si tu ne pouvais me poser qu’une seule question, quelle serait-elle ? »
Tao prit un jour et une nuit pour réfléchir. Il réfléchit en cueillant les simples dont les deux hommes se nourrissaient et il réfléchit dans ses rêves. Les interrogations tournaient dans la tête de Tao, chacune prenait le relais d’une autre, chacune traversait tour à tour son esprit sans s’arrêter assez longtemps pour qu’il se décide à la poser. Le lendemain, il salua l’ermite et se décida.
– Maître, voici ma question : quelle question dois-je vous poser ?
Le sourire du vieil homme s’étira jusque dans ses pupilles.
– Tu dois poser la question de la vie, mais pas à moi, à toi-même. Pose la toi sans en attendre de réponse. Celle-ci s’imposera à toi. Un jour. En attendant, vis.
Tao quitta la montagne et l’ermite, l’esprit et le cœur confiants, mais encore plein d’interrogations. La rencontre avec le vieil homme n’avait qu’aggravé la crise de curiosité que traversait Tao. Il se trouvait dans l’œil du cyclone d’une tempête à sa naissance.
Pour abreuver sa soif, Tao parcourut mers et océans. Il fit connaissance avec les baleines blanches, l’eau salée et les récifs coralliens. Encore affamé, il regagna la terre, s’adonna aux travaux des champs. Il bêcha, piocha, sema, arracha et cueillit les fruits du sol nourricier. Tao visita les plus grandes villes du monde et les oasis cachés, il étudia les matières du corps, de l’esprit et de l’âme. Et chaque connaissance lui ouvrait un univers de savoir toujours plus immense. Tao connut l’amour et la mort. Il rencontra des amis et des déceptions. Il eut des relations charnelles et platoniques avec des hommes et des femmes. Il se maria et s’établit bien que la petite boule bouillonnante lui tenaillait toujours l’estomac. Il eut un fils et une fille. Le premier ferma les yeux au bout de trois jours, la deuxième perdit sa vie, noyée, en même temps que la femme de Tao, dans un fleuve enflé de larmes amères.
Mais la perte des aimés ne s’accompagna pas de celle du désir de savoir. Au contraire, Tao se demandait pourquoi. Pourquoi ? Pourquoi ? Pour trouver une réponse, Tao marcha. Il marcha longtemps sur tous les continents jusqu’à sa terre natale puis jusqu’au berceau de l’humanité. Il marcha inlassablement jusqu’à se trouver au pied d’une montagne qui semblait sortir d’un souvenir. Des jours durant, il emprunta un chemin qui serpentait jusqu’au sommet où se trouvait une grotte vide. Il s’installa à l’orée de la caverne et s’assit en tailleur devant le paysage qui s’étendait à l’horizon. Le matin venu, le premier rayon du soleil vint frapper Tao. Alors il se souvint d’un vieil homme dont il avait désormais dépassé l’âge. Il se souvint de l’ermite, de sa question et de sa réponse. Il avait vécu.
C’est tout ce qu’il voulait savoir.