Les Carnets Vanteaux avec l’atelier Microfictions
animé par Milena Mikhaïlova MakariusConsigne : écrire une microfiction en utilisant les mots parapluie, rouge à lèvres, perdre, arbre, lit.
Waterproof
Par Elora Perrier
Aucun des hommes que j’ai fréquentés n’a aimé mon rouge à lèvres. Pourtant, cela fait des dizaines d’années que j’utilise le même. Un rouge pétasse. Pétant. Un rouge pétant couleur sang. Waterproof, bien évidemment. La même teinte, la même marque, la même boutique, la même trace sur la joue après un gros baiser. C’est moi. Je suis comme ça. Il me définit.
C’est ma fougue – désespérée de vie – alors que je vais courir sous la pluie sans parapluie, tirant de ma petite force de femme le bras de mon dernier amant en date. « Mais si, viens ! Ça va te détendre un peu ! Et ton âme d’enfant, alors, elle est passée où ? » Toujours, je reçois ce sourire à moitié gêné et à moitié contraint quand on me suit. Ce n’est pas de ma faute si j’aime sauter dans les flaques, si ? Ça me rappelle une vie d’antan. J’ai l’air d’une folle, et alors ? La folie est la seule vraie liberté dans cette vie sans goût et sans couleur.
Une fois l’extravagance passée, la soirée prend la tournure désirée. Fort de cette ivresse passagère, il m’embrasse. Je me laisse doucement pousser contre un arbre, puis je le repousse, avec un peu de fermeté parfois – qu’est-ce que certains peuvent être rustres et pressés ! « Et si on allait à l’hôtel ? » Ma phrase préférée. Je ne pourrais rêver de meilleur endroit pour exécuter la suite de mon plan.
Je l’attire dans mon antre et nous voilà dans la chambre habituelle. Après une première libération accomplie par mes talents d’experte, son corps nu essoufflé et béat est étendu sur la literie. Alors, la proposition d’un petit jeu devient trop excitante, trop alléchante pour la décliner. Des baisers rouge sang s’impriment le long de son corps tandis que j’attache ses mains et ses pieds aux barreaux du lit. La mise en scène est enfin terminée. Je laisse mes ongles s’enfoncer profondément dans sa peau. « Mais qu’est-ce que tu fous, bordel ? » Aucune originalité. Comme les autres avant lui, il commence à s’agiter, à désespérer quand il voit qu’il est terriblement bien attaché ; à supplier, à pleurer comme un chiot égaré quand je commence à triturer son sexe. Ça m’a toujours fascinée comment ce membre restait droit malgré la panique.
Quand la torture a assez duré et que je sens son cœur battre à tout rompre contre ma paume, je peux enfin planter mes crocs dans son cou. Libération. Il n’y a pas meilleur goût que le désespoir et la terreur. Ma vie reprend des couleurs à mesure que son corps les perd. Au bout de quelques minutes, toute lutte a cessé. Tout signe de vie s’est tu. Il ne reste plus que les marques rouges de mes lèvres sur un cadavre froid et gris comme le marbre, elles qui ont résisté à une longue bataille contre les larmes et la sueur.
Waterproof, bien évidemment. Il faut au moins ça pour souligner la magnificence de mes œuvres d’art.