Un dicton populaire ne dit-il pas qu’il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ? Et pourquoi ne faudrait-il pas en faire de même avant de lâcher une idée sur la place publique ? Prendre le temps de la façonner, la polir, lui offrir le meilleur écrin pour qu’une fois jetée en pâture dans le grand cirque elle sache trouver le chemin de la réussite et pas celui des oubliettes. C’est à ce polissage d’idée que sont conviées, Anna, Ivana, Ashkhen, Ana, Syusan et Bianca. Toutes les 6, sont invitées par la la Délégation régionale de l’Organisation Internationale de la Francophonie à une formation dispensée par ProFutur afin d’y voir clair dans le projet qu’elles ambitionnent de monter. « Comment mettre en place un projet ? » ; Comment baliser le chemin pour le réussir ? » ; « Comment renouveler les initiatives datées et rajeunir les concepts ? » ; « Comment combler un manque et ne pas créer pour créer ? » ; « Avec qui coopérer ? » ; « Quid du budget ? »
En route pour le laboratoire d’idées du château de Jablonna, le château des Pommiers...
Porter un projet est avant tout un état d’esprit
Prenons Anna Nahapetyan, elle travaille à Erevan à l’Université française d’Arménie. En 2021, avec le soutien du recteur de l’UFAR elle a monté une « Nuit de la Francophonie » pour fêter le 20 mars et animer le réseau des francophones arméniens. Table-ronde sur le rôle du français dans différents domaines comme la diplomatie, l’éducation ou le travail ; projections de films, concours d’éloquence et de culture générale... la jeune femme a rempli sa mission. Mais comment faire en sorte que la deuxième édition soit originale et enrichie ?
Ivana Lazarowski, elle, vient de Serbie. Fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères, elle est aussi passionnée de cinéma, tout comme sa sœur, qui fit des études de cinéma en France. Leur carnets d’adresses est déjà bien rempli, à la lettre K, n’y a-t-il pas un certain Kusturica, Emir de son prénom. Le projet d’Ivana serait de créer une communauté francophone de techniciens, comédiens et amoureux du cinéma, en Serbie et pourquoi pas en Europe centrale et balkanique, qui se retrouverait autour de « classes de maître », d’ateliers ou de rencontres de type festival, le tout en français ! Par quel bout dérouler la bobine ?
Ashkhen Nazinyan, professeure de français arménienne voit poindre à un horizon pas si lointain... le découragement, une certaine lassitude professionnelle. La jeune femme éprouve le besoin de se lancer dans une aventure parallèle à l’enseignement. Voire perpendiculaire du moment qu’elle est en lien avec les enfants. L’idée qui la turlupine est de rassembler des contes traditionnels pour enfants de plusieurs pays du Caucase ou d’Europe centrale et orientale, de les traduire , les illustrer et les diffuser... derrière ce quatuor de belles intentions se cache une multitude de questions sans réponses, de précisions qui n’ont pas trouvé de « point sur leur i ». Pourtant, l’idée est séduisante, il y a tant besoin de contes pour contrer les images absorbées par les enfants, venues des écrans de toutes les tailles, de tous les types. Alors, comment se lancer ?
Ana Lazarevic est multi-casquette ! Serbe de Novi-Sad, elle enseigne à la faculté et à l’Institut français, tout en préparant un doctorat en phonétique à l’université de Montpellier. Thèse qui portera sur le développement d’une application qui assistera les 11 – 14 ans dans leur prononciation du français. Comme si tout cela n’occupait pas assez les 24 heures d’une journée, Ana s’est mise en tête d’inventer un jeu d’évasion en français, pour enfants et adultes. Sa première idée serait de décorer une salle de l’Institut français de Novi Sad « façon » château de Versailles et de lancer les joueurs dans la résolution des énigmes et la pratique de taches en français. Son idée est claire, nette... mais du genre perfectionniste, la voilà au château des Pommiers afin de peaufiner son projet.
Syuzan Torosyan est professeure de français à l’université Brusov d’Erevan. Le doctorat est en vue... Petite, elle parlait français aux murs de sa chambre ! Aujourd’hui, elle a en tête de créer un atelier de traduction de livres français ou francophones. Des classiques, pourquoi pas ? Des nouvelles ? Aussi. Ce qui l’anime c’est de donner du travail à de jeunes traducteurs. Elle dit, elle même, que ses idées ne sont pas fixées...
Enfin Bianca-Livia Bartos, elle vient de Cluj-Napoca en Transylvanie roumaine. Comme Ashkhen, parfois, elle se sent démobilisée dans son métier d’enseignante. Un besoin d’engagement au delà de l’enseignement la titille. Bien qu’elle travaille déjà pour un cabinet privé de recrutement de dentistes roumains souhaitant travailler en France, il lui manque encore une corde à son arc. Pourquoi pas redonner de l’énergie à ses collègues enseignants qui... ne le disons pas trop fort... s’ennuient ? Pour ce faire, Bianca a dans la tête l’idée de leur proposer des formations pour qu’ils cessent de déprimer. Enseigner par le théâtre, la chanson, l’écriture de scénario, l’éducation aux médias et le journalisme ! Voilà qui ressemble fort aux propositions de ProFutur dont elle a déjà suivi une formation en 2021 à Sofia Bulgarie. Formation qui a planté une petite graine...
Une fois exprimé l’ensemble des projets, Jan Nowak et son équipe ProFutur passent aux questions sérieuses. De quoi avez-vous besoin ? Qu’est-ce qui vous bloque ? Pourquoi êtes-vous là ? Voulez-vous créer une activité bénévole ou lucrative ? Activité à temps plein ou intermittente ? Souhaitez-vous être sous la tutelle de votre université ou d’une institution ou travailler pour vous, en indépendant ? Les coureurs cyclistes appellent ce moment « entrer dans le dur ». C’est à ce moment que Jan Nowak se dévoile. La mise en place de projets éducatifs ou culturels c’est son kif ! Il se baigne dans les projets comme Picsou se baigne dans les billets de banque. Extase. En une matinée, sans notes, le voilà qui reprend chaque projet et livre ses premières réflexions. Parfois ces dernières ont le parfum de son propre vécu ; parfois il les tartine d’un brin de filouterie qui évacue naïveté et candeur. Hors de question de se faire pigeonner par un éventuel partenaire, qu’on se le dise ! Comme Jan est d’avis qu’il faut parler de ses projets, les tester même si ils ne sont pas aboutis, il se doit d’expliquer comment ne pas se faire piquer l’idée par un malotru.
24 heures passent. 24 heures à retourner 7 fois les projets dans sa tête. Jan prend la main. Dort-il parfois ? Le doute est permis. Il retrouve les 6 jeunes femmes. Une par une, projet par projet... il recadre, soumet, invente. Bien entendu, ni les conseils ni les ficelles, ne seront exprimées ici. N’oublions pas que le projet appartient à ces jeunes femmes et que les paroles de Jan sont le fruit de bientôt 15 ans d’expériences. Tout cela ne sera pas divulgué, divulgaché, ici même. Impensable de préciser à qui il a préconisé de, séance tenante, internationaliser son idée ; à qui il a conseillé de démarré le projet par une action inattendue mais qui amorcera un mouvement salutaire ; à qui il a tenu un discours de franchise afin de mettre le doigt sur de probables déconvenues si...
En revanche, Agora francophone suivra l’évolution des projets, provoquera des points réguliers avec Anna, Ivana, Ashkhen, Ana, Syusan et Bianca. Pas pour contrôler ! Pour décortiquer avec elles, les embûches, les succès, les complémentarités découvertes entre elles et les initiatives qu’elles portent.