L’Association Internationale des Établissements Francophones de Formations en Assurance (IEFFA) tenait séminaire début novembre à l’Université Claude Bernard à Lyon. Loin de considérations techniques absconses, les invités concentrèrent leurs prises de paroles sur des sujets sociétaux concernant la maîtrise des mégadonnées, le développement en Afrique, l’éthique, la cybercriminalité et aussi, grâce à la pertinente intervention de François-Xavier Albouy sur « le prix d’un Homme* ».
Le premier thème abordé « le digital et l’assurance » révèle d’entrée de jeu la difficulté – réelle ou supposée - de rester francophone dans un milieu d’affaires ! Le « digital » semble avoir balayé le « numérique » ce qui doit faire bondir les linguistes de Franceterme.
Et que penser des « scoring ; competitive pricing et autre 67 startup making your home smarter... » qui s’invitèrent tout au long du séminaire ? Ces expressions sont-elles inévitables sur les « sliders » projeté(e)s sur l’écran de l’amphithéâtre ?
- Christian Robert
Revenons au fond... « Le numérique et l’assurance ». Sous ce titre apparaît instantanément l’enjeu de la maîtrise des mégadonnées, en anglais big data. De plus en plus de mégadonnées s’entassent dans les disques durs des compagnies d’assurance et de tous les prestataires de service de la planète. À tel point qu’il faut former et embaucher des experts en mégadonnées afin qu’ils en tirent la substantifique moelle, comme aurait dit Rabelais dans son Gargantua si boulimique ! Collecter et traiter les infos est la grande affaire du siècle à venir. Les « consommateurs » ont-ils des réticences à se livrer en toute impudeur par l’intermédiaire des objets connectés ou, simplement, en répondant à des formulaires de plus en plus intrusifs ? Pas certain. Si le bénéfice est au bout du chemin, des enquêtes montrent que le consommateur – citoyen est prêt à se livrer. Oui, s’il bénéficie d’une réduction des cotisations ; oui s’il constate une amélioration de son état de santé ; oui s’il a l’impression de faire progresser la recherche médicale ou la sécurité routière. En résumé, sans doute trop abrupte, la crainte disparaît devant le gain financier ou non. La conséquence de cet abandon d’intimité est que la dématérialisation des relations dites contractuelles imposera des règles et normes éthiques dans la pratique des robots, des outils connectés et des plateformes numériques. Sinon, George Orwell reviendra au galop ! (Interprétation de la prise de parole de Christian Robert – Institut de Science Financière et d’Assurance - Lyon - France)
- Sandra Ghernaouti
D’où l’attention toute particulière portée à la cybersécurité, pourvoyeuse de métiers d’avenir, assurément. Comment parler de cybersécurité sans parler des désormais célèbres GAFAM* et NATU* ? Ces monstres du commerce numérique imposent des services, génèrent de l’argent avec « du gratuit » et sont porteurs d’une violence inouïe et invisible. Et pour parachever le tableau, nous, les citoyens – consommateurs sommes dociles ! Tels des gourous sectaires, les maîtres des GAFAM et NATU font entrer dans nos têtes que ce qu’ils pratiquent est une évolution naturelle. Collectons, collectons des données, sans trop savoir pourquoi, un jour viendra elles serviront... voilà le credo. Pire même, l’utilisateur donne tout sur lui sans être réellement conscient que ces données seront revendues à son insu. L’utilisateur est l’acteur de son esclavage et il aime ça ! Plus il donne, plus il est asservi. Qui se cache derrière ces machines à aspirer et à traiter nos intimités ? Qu’importe, le fait est que ces concepteurs de logarithmes sont dénués de culture, du sens du bien commun, d’éthique. Les questions de la sécurité et de la véracité ne sont pas un problème. C’est pourquoi les cyberassureurs ont de l’avenir. Ce monde hyperconnecté où le pouvoir est dans les mains de ceux qui possèdent les informations est, en partie, aux mains de criminels. Mot fort, mais... L’internet auquel chacun peut avoir accès est un iceberg. 80 % de sa surface est immergés, invisibles de l’immense majorité des utilisateurs. Cette masse criminelle, terroriste et dangereuse ne s’appelle-t-elle pas le web noir et le web profond ? En ces terres invisibles, tout s’achète et tout se vend et cette industrie est florissante. Les propriétaires des infrastructures (GAFAM et NATU) sont les « rois du pétrole » !
Face à ces risques protéiformes, il est urgent de développer l’industrie du contrôle. Tout est vulnérable... les logiciels, le WIFI, la domotique, les véhicules autonomes... Les crises sont inévitables, le besoin d’assurance l’est tout autant. (Interprétation de la prise de parole de Sandra Ghernaouti – Université de Lausanne - Suisse)
- Un séminaire interactif !
- François-Xavier Albouy
Assurance et Afrique ?
Un chiffre : 20 % de la population mondiale est concernée par l’assurance. Seulement. Il en résulte que l’assurance reste un métier à inventer, notamment sur le continent africain. Établir un système d’assurance viable et équitable à l’échelle d’un continent vient à parler, sans détour, du prix de la vue humaine. Prix fixé par le marché ! Aux États-Unis, la vie d’un être humain qui meurt dans un accident d’avion est de 3 à 4 millions de dollars. Un Africain, lui, ne vaut rien au regard du marché. Cette indécence pure vient du seul fait que l’assurance est un objet politique, économique et social et qu’aujourd’hui le monde est dominé par les mégalopoles et les cités états. Les campagnes sont désertes, le bâti n’y vaut rien et la déshérence y fait son nid. L’Afrique ne compte pas encore. Pas encore assez ! L’assurance qui est un outil de lutte contre les aléas du sort - personnel, agricole ou industriel - n’y trouve que peu d’écho. Pourtant, les statistiques montrent que la croissance africaine atteint par endroit 6 ou 8 %. Des chiffres que l’Europe ou les États-Unis n’atteindront plus jamais ! Alors pourquoi tant de croissance pour si peu de bénéfice pour de la population ? Simple. Cette croissance n’est pas inclusive. Elle n’est pas partagée avec le monde agricole qui représente 60 % des habitants subsahariens. Elle ne génère pas de système de protection sociale et encore moins de recettes fiscales. Ce sont les transferts de fonds familiaux et l’aide au développement qui contribuent à la vie – survie – des Africains ruraux. Seulement 5 % des crédits à l’économie vont à l’agriculture alors qu’elle représente 40 % du PIB. Bilan humain : les conditions de vie régressent, l’accès aux soins diminue, le système éducatif reste faible, le système de retraite est inexistant et le producteur ne fixe jamais le prix de sa production... en résumé, la population rurale n’est pas incluse !
Si l’on veut dresser un tableau – sombre – on pourrait observer que dans l’ensemble de la chaîne de production du cacao ou du café tous les intervenants sont assurés pour tous les potentiels risques sauf... le producteur et sa famille. L’assurance peut et doit lutter contre la pauvreté. De par le monde, Nord et Sud, chacun sait que les « sans domicile fixe » sont toujours des gens qui ont subi un accident de la vie. L’assurance est l’outil qui évite cette spirale descendante. Il faut transformer l’agriculteur en chef d’entreprise. Si sa production est assurée, il peut produire – voir produire plus – sans peur. Alors qu’aujourd’hui, après 2 ou 3 années de mauvaises récoltes il n’a comme solution – mauvaise solution – que le départ pour la ville en priant pour une hypothétique amélioration de ses conditions de vie. L’assurance fait partie d’un triptyque indispensable au décollage de l’économie africaine : subventionner les producteurs ; investir dans les technologies (payement, santé, communication...) et donc, assurer les productions et les familles. Il n’y a pas de fatalité à l’appauvrissement et au vieillissement des campagnes africaines. (Interprétation de la prise de parole de François-Xavier Albouy – Directeurs des recherches Chaire transitions démographiques et économiques)
* François-Xavier Albouy - Le prix d’un Homme - Éditions Grasset
* GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft
* NATU : Netflix, Air BNB, Telsa et Uber