Thomas Nordlund n’est pas du style à attendre que la Covid dite 19 lui dicte intégralement sa conduite. Rassurez-vous, pour attester de sa liberté, il ne transgresse pas les règles quotidiennes de respect envers autrui, non, simplement il continue à travailler, à mijoter et parfois même à bouillonner. Son truc, celui qui donne la fièvre à son cerveau autant qu’à ses tripes c’est le théâtre. Vous savez cet art qui souffre tant par les temps qui courent. Et bien Thomas, incroyable, mais vrai, avoue sans gène qu’il est heureux et optimiste quant à sa prochaine création. Contre vents et marées, contre postillons et mains mal lavées, il tient le gouvernail. Des dates de représentations commencent à tomber alors que les programmateurs ne sont pas encore vraiment avertis de ce qui se trame au théâtre des Déchargeurs (Paris). Pourtant, il n’a pas toujours arboré des signes de zénitude. Monter le texte d’un auteur méconnu en France, être lui même quasi inconnu, entraîner avec lui une troupe de quinze personnes, le tout en période de morosité à la sauce covidienne, quand la visibilité n’excède pas 10 jours, l’estomac, certains soirs, fut noué. Mais ça, c’était avant. Thomas attaque le printemps au taquet !
De Shakespeare à Sony Labou Tansi
« Si j’avais été chevalier, je serais mort de mes engagements ». Fichtre, Thomas n’y va pas de main morte quand il évoque son état d’esprit. Pas une once de prétention. Juste l’affirmation qu’il tient en haute estime l’amitié et la parole donnée. Et son aventure du moment tient la route du fait d’un serment implicite qu’une quinzaine d’acolytes ont prêté pour que vive « La Parenthèse de sang ». Texte écrit par le Congolais Sony Labou Tansi en 1981. Thomas dit lui même qu’il n’est - encore* - personne dans le milieu théâtral, pourtant des comédiens, des techniciens et même un directeur de théâtre se sont embarqués avec lui. Lui, pour ce qu’il transmet aux autres, lui pour son désir sincère de monter Sony Labou Tansi, lui pour son côté intrépide dans la morosité ambiante... lui, quoi !
Avec Sony comme compagnon d’aventure
Sony Labou Tansi, une véritable révélation pour le jeune metteur en scène qui a toujours « eu du mal » avec les Classiques français et qui s’est consacré sans compter à Shakespeare et à Beckett.
C’est en côtoyant les imaginaires créoles de Césaire et Léon-Gontran Damas que tout a basculé, tout s’est bousculé. N’a-t-il pas nommé « Bousculade » sa compagnie ? Lui pour qui les mots écrits ont souvent été inversés ou malmenés du fait d’une fantasque dyslexie. Comme si cette dernière avait décuplé son amour du mot juste autant que du jeu avec les mots, il tombe sous le charme du rythme et de la musique des textes de Sony Labou Tansi. Son besoin de s’ouvrir aux autres, de vivre d’autres vies, d’élargir son imaginaire est satisfait, comblé ! Direct, en français, un autre français que le sien... Bon sang, voilà ce qu’est la francophonie ! Être pareil... et pas vraiment.
« Je crois dur comme fer à cette chose-là, j’en donnerai ma vie pour. Nous sommes condamnés à être plus forts que nous et à nous surpasser chaque jour. Ce n’est pas du catéchisme. C’est le sens de ce que nous plantons ensemble. J’ai l’air d’être pressé. Pas du tout. Nous devons être meilleurs que les autres. L’Afrique sera pour la francité et les francophonies ce que l’Amérique latine est pour l’hispanité aujourd’hui. »
Propos tiré de la lettre du 15 décembre 1989 que Sony Labou Tansi avait écrite à Monique Blin, directrice du Festival les Francophonies – Limoges - France.
Covid ou pas Covid, au boulot maintenant !
Près d’une année que Thomas et son équipe ne s’étaient pas rencontrés, n’avaient pas partagé un plateau de théâtre, seulement des zooms et des écrans. Frustration. Frustration et, début mars, quand ils osèrent se retrouver, ils appréhendaient le moment tant espéré. L’envie, l’engagement, la folie seraient-ils toujours là ? Leur élan avait été coupé net par ce satané virus bien peu favorable aux fusions et effusions émotionnelles et charnelles. Thomas, conscient de la possible gène des uns, des interrogations des autres, anticipant des joies et des tristesses vécues intimement par ses 15 compagnons de route, refusa de prendre le risque qu’une pudeur maladroite ne cacha les doutes. Il décida d’une réunion où chacun fut invité à se livrer, où le faire semblant serait banni. Sony Labou Tansi fut lui-même invité par le biais de projections de vidéos et par la lecture de textes. Tout fut mis en place pour recoudre la déchirure due au Covid. Le jeune metteur en scène désirait ardemment que chacun retrouve la fierté de travailler un texte écrit par un “monstre” de la littérature congolaise, africaine, francophone... mondiale. Opération réussie. La troupe s’est investie généreusement et harmonieusement. Sony Labou Tansi a toujours eu la réputation de faciliter les rencontres humaines. La magie a encore opéré.
Mode d’emploi
Fallait-il recommencer là ou l’aventure – saison 1 – s’était brusquement stoppée ou effectuer un second départ ? L’évidence du second départ s’est imposée. Le virus et le temps passé entre la saison 1 et la saison 2 chamboulèrent la mise en scène et l’utilisation de l’espace sur le plateau. Dans la tête de Thomas, une folie douce a surgi : ne serait-il pas judicieux, un jour, de monter la pièce en extérieur ? Qui dit que les théâtres dans des parcs, les scènes en forêts ou des estrades posées sur des places de villages ne seront pas les nouveaux usages courants du théâtre de l’après-Covid ? Jouer dehors n’est pas une idée nouvelle, même pour Thomas, mais le virus jouer un rôle d’accélérateur. Jouer dehors est un retour aux sources. Sony Labou Tansi voyait le théâtre comme le fait que des hommes touchent des hommes, aujourd’hui, il dirait “peut-être”, le fait que des humains touchent des humains... qui sait ? Jouer en extérieur, n’est-ce pas la vie, tout simplement ? Le théâtre que rêve Thomas est celui de la vie, pas celui de la caresse, ni celui de la provoc. Avec Sony Labou Tansi, il est aux anges ! Il peut diriger ses comédiens sur le chemin du tragique autant que du rire et de l’espoir. La langue employée par le Congolais est nourrie d’un imaginaire ouest-africain, mais Thomas assume une mise en scène “intraçable”. La dictature, la violence, la souffrance et les peuples en lutte ne sont pas l’apanage des Congolais, des Camerounais et des Guinéens, alors pourquoi ne pas imaginer qu’un Birman, une Biélorusse ou des Nord Coréens puissent se retrouver dans les mots mis en scène par Bousculade ? Dans le prologue, Sony Labou Tansi tend la perche en faisant dire à un personnage : “Pas d’Afrique !” Lui même ne voulait pas que son histoire soit réduite à l’Afrique. Et puis... quelles contrées peuvent-elles se dire immunisées contre la dictature et ses petites sœurs moins sanguinaires mais tout aussi condamnables ?
Thomas lit “la Parenthèse de sang” comme une fable. Une fable qui dirait que... la liberté fait peur, mais que si on parvient à la faire tomber, la liberté est envisageable ! Depuis ce printemps, Thomas est libre. Libéré des nœuds à l’estomac, il avance ses pions. Pour sûr les programmateurs qui viendront voir une partie de la pièce jouée “que pour eux” mi-avril au festival Les Dionysades (Saint-Denis 93) seront aspirés par l’enthousiasme et l’engagement. Il se dit que ce soir-là, la fille de Sony Labou Tansi sera dans la salle. Pression.
Thomas, il faut t’accrocher à ta zénitude !
* ajouté par Arnaud Galy
Photos : © Collection personnelle Thomas Nordlund
En quelques "clics" vous participerez à l’aventure... n’hésitez pas, être solidaire de la création n’a jamais fait de mal !