Dans le tableau de la francophonie en Serbie, l’une des figures les plus engagées est certainement Zeljka Jankovic, jeune docteure en philologie à l’université de Belgrade, mais pas que ! Zeljka est engagée sur plusieurs fronts : théâtre, formation de professeurs de français en Serbie, création d’accords bilatéraux entre la France et son pays...
« Mieux vaut tard que jamais »
Zeljka Jankovic commence à apprendre le français assez tardivement, à partir de l’âge de 15 ans, au lycée. À Kragujevac, sa ville natale, le français était proposé comme deuxième langue étrangère au lycée. Grâce au jumelage de la ville serbe avec Suresnes (près de Paris) la lycéenne effectue son premier séjour en France en 2005. Seulement trois années plus tard, en terminale, Zeljka remporte le premier prix au concours national de langue française, ce qui lui permet de s’inscrire directement à la faculté de philologie de l’université de Belgrade... qu’elle ne quittera plus. Elle y poursuit ses études en Master où elle écrit un mémoire sur l’imparfait narratif en français et sa traduction en serbe ; puis à partir de 2012, elle entame un doctorat, réorienté vers la littérature française. Sa thèse, soutenue récemment, apporte un nouvel éclairage à la littérature française du 17e siècle : elle y étudie la place de la femme et de l’écriture féminine dans l’œuvre de Madame de La Fayette.
Aujourd’hui, Zeljka Jankovic enseigne la littérature française du XVIIe et du XVIIIe siècle à l’université de Belgrade. Ces époques sont très importantes pour elle, le XVIIe siècle représente ce qu’elle appelle « L’esprit français », qui annonce en quelque sorte la Révolution et la pensée des Lumières du 18e siècle. Si le français est supprimé dans de plus en plus d’établissements scolaires publics, et est souvent relégué au cadre privé, Zeljka Jankovic fait partie des personnes qui luttent pour la promotion de la langue en Serbie.
Entre 2011 et 2017, Zeljka a participé à l’organisation du Festival de théâtre lycéen francophone (FTLF) de Belgrade, qui existe depuis vingt ans. Ce festival est réalisé chaque année sous l’égide de l’association des professeurs de français de Serbie, qui propose des formations, des soutiens aux professeurs, ainsi qu’une promotion de la langue française par divers moyens dont fait partie ce festival de théâtre. Chaque année, une quinzaine de spectacles sont présentés : il s’agit de troupes lycéennes amatrices de divers pays francophones, européens, africains, et même nord-américains ! Ce festival permet notamment de sensibiliser les jeunes Serbes à la langue française, et Zeljka est heureuse de constater que ce festival a donné naissance à des vocations, certains d’entre eux ayant choisi de poursuivre leurs études de français à la faculté de philologie.
Au sein de l’université de Belgrade, Zeljka participe également au « Choix Goncourt de la Serbie », organisé en partenariat avec l’Institut français de Serbie et l’Académie Goncourt. Chaque année, une soixantaine d’étudiants des quatre départements de français des universités publiques serbes consacrent du temps à la lecture des quatre romans finalistes du prix Goncourt en France et élisent leur propre lauréat... parfois celui-ci coïncide avec le prix Goncourt, parfois non ! Cette année, la proclamation du Choix Goncourt de la Serbie a confirmé le choix du prix Goncourt : Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, de Jean-Paul Dubois.
Pour Zeljka, la francophonie c’est...
En premier lieu, ce sont des valeurs communes, partagées par le biais d’une langue, et non seulement d’une langue, mais de toute la production dans cette langue. Grâce à ce patrimoine francophone, les locuteurs de français partagent des valeurs communes d’échange, de coopération, d’esprit cosmopolite, démocratique et de partage. La francophonie permet aussi à ceux dont la langue française n’est pas la langue maternelle ou la langue officielle ou encore d’enseignement privilégié, de se familiariser avec le trésor culturel, comme elle le nomme elle même, mais aussi avec les valeurs universelles particulièrement importantes pour notre époque. La francophonie n’est pas seulement une langue, c’est une langue qui est le vecteur de toutes ces valeurs.
Si elle devait choisir une chanson, ce ne serait pas une chanson, mais un artiste qui a profondément marqué sa rencontre avec la langue française : Charles Aznavour. Zeljka s’assume profondément « rétro », et même si elle apprécie aussi les productions contemporaines, la chanson des années 1950-1960 reste pour elle incontournable. Elle confesse même visiter les tombes de Dalida, Édith Piaf ou encore Gainsbourg lors de ses passages dans la capitale française... Si elle devait choisir un film, ce serait Cyrano de Bergerac de Rappeneau, parce qu’il véhicule ce qu’elle considère comme « l’esprit français ». Enfin, si elle devait choisir un livre, ce serait 2084, fin du monde, de Boualeb Sansal, qui est une sorte de dystopie, une référence à 1984 d’Orwell, dans laquelle l’auteur imagine une société autoritaire, et selon la jeune femme c’est un bon avertissement pour notre époque. Pour la spécialiste du XVIIe et du XVIIIe siècle français, ce roman se place dans la continuité de l’Esprit des Lumières, il puise dans les acquis d’un Voltaire et c’est pourquoi ce livre est si important pour elle.