ABDOU DIOUF, LA DROITE LIGNE
Contribuer à l’évocation de la figure d’Abdou Diouf, que j’observe et apprécie depuis près d’un demi-siècle, c’est soudain ressusciter des moments exceptionnels, qui s’égrènent au fil des années. Depuis ma première rencontre avec celui qui pouvait apparaître comme un jeune technocrate, dont il e st difficile de dire
qu’il était dans l’ombre de Senghor, tant il le dépassait en taille, ni qu’il était son ombre, car il avait, très tôt, sa singularité auprès du Poète Président.
C’est pourtant évidemment sous les auspices de Senghor que nous nous sommes rencontrés, à Dakar, à l’occasion d’un voyage que j’avais fait dans la capitale du Sénégal pour réfléchir avec le premier Président du Sénégal du CESTI, la grande école de journalisme à Dakar, comparable à celle que je venais de créer et que je dirigerais pendant six ans, l’ESIJY de Yaoundé. Abdou Diouf était là, précis, attentif, à la fois réfléchi et explicite, comme je l’ai toujours connu depuis. Donnant ce sentiment immédiat que sa vive intelligence ne laissait pas place au hasard ou à l’à peu près. C’est sans doute cette fiabilité du jugement que Senghor avait apprécié en lui et qui le conduisit à faire de lui, seul parmi tous ceux qui avaient été ses directeurs de cabinet, et qui étaient tous de grande qualité, son Premier Ministre, puis son successeur désigné, par la grâce d’une Constitution qui lui donna la possibilité de choisir les conditions et le moment de son départ de la magistrature suprême. Premier souvenir, Abdou Diouf aux côtés de Senghor. Cette proximité passe par des moments d’émotion, qui culminent aux obsèques du Poète, à Dakar. Je suis juste derrière Abdou Diouf, digne et droit, qui porte à cet instant tout l’héritage démocratique que lui a légué le père fondateur des institutions sénégalaises, et l’exemple souvent cité rarement imité de son retrait du pouvoir — que peu de ses pairs africains eurent l’heur de suivre. À cet instant je mesure qu’il est et sera à la hauteur de l’héritage, et il le prouvera au jour de sa défaite électorale contre Abdoulaye Wade, l’opposant historique, dont à aucun moment il ne contestera la victoire, ancrant ainsi dans la durée et par l’alternance la pratique démocratique sénégalaise.
Ultime souvenir, l’Abdou Diouf dont je fais le portrait pour France Télévisions. Un
documentaire de 52 minutes, c’est peu pour raconter une vie et mesurer un tel parcours, l’exercice est difficile et l’homme, au-delà de la courtoisie et de l’amitié, difficile à percer. Parviendrons-nous à fendre l’armure de l’ancien Chef d’État, désormais Secrétaire général de la Francophonie ?
Extrait du dossier publié dans l’AFI 2014-2015