Pour un temps le centre de gravité de la Francophonie s’est déplacé à l’ONU. Preuve que les grandes causes sont transversales et que lorsque les chapelles cessent de se disputer, elles peuvent cohabiter ! Aux manettes l’Association des Maires Ruraux de France et le PNUD (1). L’enjeu du jour : la place des jeunes et des femmes dans la démocratie locale en Arménie. Sujet quasi tabou avant la révolution de velours du printemps.
Au premier coup d’œil dans la salle, un constat s’impose : pour parler de démocratie locale et de femmes... il n’y a que des femmes... ou presque ! Comme si inclure les femmes et la jeunesse dans la vie des villages et des mairies avait du mal à passer et faisait toujours tousser la gent masculine. Une impression qui ne se dément pas au fil des échanges et des prises de position. Il faut dire que l’Arménie part de loin ! Le rôle du maire dans un village arménien « des temps soviétiques » et encore aujourd’hui n’était qu’être « courroie de transmission »(2) entre la campagne et le pouvoir central d’Erevan. Il n’était sans doute pas inutile que des maires ruraux français viennent apporter leur pierre à l’édifice de renouveau démocratique en cours dans le pays en racontant leurs propres initiatives et expériences. Sans oublier que la France n’est pas, sur le sujet, un modèle hors catégorie ! Les dysfonctionnements de certains conseils municipaux ou communautés de communes sont légion, mais soyons honnêtes, le post-soviétisme n’est pas de mise entre l’Indre et l’Aveyron (3) !
- Christophe Bédrossian, Narine Grigoryan, Natalya Harutyunyan et Laurance Bussière
Christophe Bédrossian, maire de la commune d’Autrac en Auvergne, dont les origines arméniennes ont grandement motivé l’engagement du jour, se lance dans un état des lieux des outils démocratiques dont bénéficient les communes pour informer et impliquer les habitants aux décisions prises par les élus. Enquêtes publiques, commissaire enquêteurs, réunions publiques, beaucoup de notions bien peu en vogue en terre arménienne. Christophe Bédrossian met toutefois en garde contre le fait qu’une information donnée par une mairie peut, également, être biaisée et que le citoyen doit toujours rester vigilant ! Oui, mais voilà, être citoyen s’apprend, tout comme s’apprennent la liberté ou la démocratie. Voilà pourquoi sa collègue Laurance Bussière, maire de Daubeuf La Campagne en Normandie, prit le relais et s’exprima sur le rôle des élus dans l’éducation à la citoyenneté envers les enfants. Éducation qui commence, à Daubeuf La Campagne, par l’existence d’un conseil municipal des enfants. Loin d’être un gadget, les enfants ont été amenés à réfléchir sur une thématique adaptée au moment : la nature et le sport. Sourire dans la salle, quand Laurance Bussière explique que les garçons ont planché sur une idée de stade de football et que les filles ont mis en œuvre des actions autour de la biodiversité ! Qu’importe, l’important est l’engagement et la compréhension du fonctionnement de la prise de décision. Enfin, Narine Grigoryan, conseillère municipale de Yeghegnadzor apporte un point de vue arménien. Point de vue qui démontre que des coups de canif ont déjà été donnés au système en place depuis des lustres. Un questionnaire a été distribué aux habitants des trois communes dépendantes de Yeghegnadzor. Les interrogations tournaient autour d’un principe de base : « êtes-vous prêts à prendre part à la prise de décision ? » Contre toute attente, la population s’est largement mobilisée et s’est dite prête à apporter un soutien constructif, financier, technique, organisationnel... chacun selon ses possibilités et compétences. Madame Grigoryan insiste sur le fait que, pour la première fois, la mairie découvrait les priorités des habitants. Une réflexion que vient appuyer avec force Armen Movsisyan, un des rares hommes présents et maire de la commune de Gladzor. Très percutant, pourquoi ne pas dire courageux, il avoue son étonnement devant les résultats de l’enquête. Il n’avait, auparavant, jamais entendu la voix des femmes ni celles de la jeunesse. Les résultats ont déjoué toutes les idées préconçues et il encourage ses consœurs et confrères (absents !) à établir de telles enquêtes sur leurs territoires respectifs. Selon Narine Grigoryan, l’expression de problématiques telles que l’emploi des femmes ou le rôle des femmes dans la vie locale étaient des « premières » !
Reste qu’il faut casser les vieilles habitudes mises en place par un état centralisé fort peu démocratique qui vacille en Arménie depuis le printemps 2018. Toutes les personnes présentes font partie de la nouvelle vague qui a porté Nikol Pachinian au pouvoir. Un vent d’espoir souffle sur l’Arménie, même si la « vieille garde » n’a pas rendu les armes comme le prouvent des événements récents. Mais cette nouvelle vague a du pain sur la planche. Fracasser le plafond de verre que connaissent les femmes, inculquer la culture de la participation, renouveler le personnel politique, lever la barrière entre les élus et les habitants... vaste programme.
Qu’il est agréable de voir qu’un Sommet de la Francophonie peut générer, occasionner, de telles rencontres et créer des liens. Langues française et arménienne se sont répondus, les traductrices ont établi les passerelles nécessaires à la compréhension mutuelle, la diversité des cultures s’est exprimée sans heurt... affaire à suivre !
(1) PNUD : Programme des Nations Unies pour le développement
(2) "Courroie de transmission" : Expression utilisée par Séda Mavian, journaliste aux Nouvelles d’Arménie et modératrice d’un des débats.
(3) Indre et Aveyron : deux départements français
- Séda Mavian et l’activiste Yana Hovhannisyan en échange animé avec la "nouvelle vague" arménienne