« La logique capitaliste tue ce qu’il y a d’humain dans la représentation artistique ».
Saïd Mouhamed Ba
La diversité culturelle est pour l’humanité ce qu’est la diversité biologique pour la nature. Le manque de reconnaissance d’une minorité, que ce soit sous l’angle culturel ou artistique, ethnique, ou relativement à la langue, la pratique religieuse, peut alimenter des tensions, voire déclencher des conflits.
Rencontré à la « Résidence 10 sur 10 » à quelques encablures de Saint Louis, le jeune écrivain sénégalais, Saïd Mouhamed Ba auteur de cinq œuvres de théâtre, roman, et de poésie, apprécie la question de la représentation des minorités dans la production audiovisuelle et artistique africaine.
« Dans la mesure où l’humanité est un ensemble, une culture est une partie de l’humanité qui nous touche, quel que soit le nombre de personnes qui la pratiquent ; et si nous ne prenons pas en compte cette diversité, nous excluons nous-mêmes une partie de l’humanité de la production audiovisuelle, cinématographique, télévisuelle » , affirme Saïd Mouhamed Ba. En effet, explique-t-il, un jeune qui voit toujours la même chose pourrait être amené à penser que c’est ça qui est la vérité absolue. « Nous devons amener les jeunes à s’élever, à pouvoir comprendre que chaque personne a ses expériences, mais que cette expérience ne peut représenter à elle seule la réalité. Les expériences sont personnelles, elles sont relatives », estime l’auteur de « Paris, capitale de la haine ».
« Quand on voit les films que certains réalisateurs et comédiens nous proposent, nous voyons toujours que leurs préoccupations, est toujours d’essayer de conquérir un public occidental, même si au demeurant il n’est pas intéressé par ce qu’ils font. Rares sont les gens qui prennent la peine d’aller voir ce que font les minorités pour montrer ça » , déplore Saïd Mouhamed Ba. Même s’il est aisé de comprendre que c’est la logique capitaliste qui guide certaines productions, Saïd Mouhamed Ba relève que cette démarche tue ce qu’il y a d’humain dans la représentation artistique de telle sorte qu’on produit pour juste le succès.
« Tant que l’argent est mis au-devant, on fausse la création elle-même ; parce que je ne vais plus en tant qu’écrivain écrire pour le plaisir d’écrire, pour montrer une réalité aussi cruelle soit-elle, mais je vais écrire parce que je vois toujours ce que la majorité va en penser », fait remarquer Saïd Mouhamed Ba.
Argumentant sur le problème de la représentation des minorités dans la production audiovisuelle Saïd Mouhamed Ba se réfère à une situation qui concerne sa société. Il s’agit du cas de ce que l’on appelle les minorités religieuses. Il y a d’un côté, selon l’auteur de « La révolte du sexe », des confréries pour lesquelles les autorités, l’État déploient beaucoup de moyens pour s’assurer la fidélité lors des élections politiques et d’un autre coté d’autres confréries qui n’ont, parce qu’elles n’ont pas beaucoup de fidèles, ne bénéficient pas du même traitement. Ce qui poursuit-il se répercute et s’observe également dans le domaine de la production audiovisuelle, créant ainsi beaucoup de frustrations.
Aussi Saïd Mouhamed Ba relève un certain déséquilibre relativement à la place qu’occupe la ville au détriment de la campagne dans la production audiovisuelle (reportages, films). On parle plus des préoccupations du plus grand nombre ou des personnes qui illustrent l’aisance, alors que d’un autre côté la vision, la situation difficile de la minorité ne sont pas prises en compte, même dans les décisions politiques. Sans vouloir le justifier, Saïd Mouhamed Ba explique que ce déséquilibre crée des conflits qui peuvent conduire à la haine jusqu’au terrorisme.
L’écrivain dévoile aussi un curieux paradoxe concernant la littérature sénégalaise. « Aujourd’hui, je dirai que les écrivains sont devenus finalement une minorité ; la littérature est pratiquement absente de l’audiovisuel. A la télé on ne fait plus la promotion de la littérature, de l’écrit ; on fait plutôt la promotion des musiciens. Finalement même ces écrivains sont devenus des minorités, personne ne les connait, personne n’en parle, les émissions ne leur accordent plus assez de place, ils ont des problèmes de subvention, de droits d’auteurs » , lance Saïd Mouhamed Ba.
Surprenant paradoxe qu’au pays de Senghor le domaine de la littérature soit le mal loti du paysage artistique.