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TOGO - Le Tour des CLAC en « Nana Benz »

TOGO - Le Tour des CLAC en « Nana Benz »

GRAND FORMAT
12 novembre 2023 - par Arnaud Galy 
Premier des trois concerts des Nana Benz du Togo, au CLAC de Tchamba. - © Arnaud Galy - Agora francophone
Premier des trois concerts des Nana Benz du Togo, au CLAC de Tchamba.
© Arnaud Galy - Agora francophone
Partenariat OIF / Agora francophone

Le réveil est difficile. Dormir par brèves séquences à moitié couché le nez dans une valise ou assis la tête ballottée au rythme des nids d’autruches qui s’enchaînent sur le bitume mathusalémique n’a rien de reposant. Mais l’étape est terminée. Parti depuis le matin de Lomé, le bus des Nana Benz du Togo atterrit à Sokodé. Oui, « atterrit ». Juste mot validé par tous les passagers du Toyota qui depuis Lomé admirent effarés la dextérité du chauffeur. Roi du zigzag, klaxonneur d’exception, silencieux, concentré et finalement plus que parfait. Sans doute, la brève prière entonnée le matin, dès le départ, a-t-elle porté ses fruits.

Entre pannes de courant et en conséquence Wifi capricieux, voire franchement énervant, toute la troupe s’installe à l’hôtel, à l’entrée de la ville : Lady Apok, Parus Kekeli et Izea Ledu, les trois « nanas » du groupe et leurs deux acolytes percussionnistes, musiciens tout-terrain, Totò Schillaci et David. Une bonne douche, froide, car malgré la climatisation du bus, chacun est écrasé de chaleur et surtout d’humidité. L’équateur est tout proche et la pluie satisfait les besoins des cours d’eau tout en verdissant la végétation. Les humains pris dans cette étuve n’ont qu’une solution, boire. De l’eau, une bière Beaufort ou un jus de gingembre selon l’effet secondaire recherché.
Le repas du soir est servi. Ce soir foufou ! Plat familier à base d’igname bouilli et pilé dans un mortier jusqu’à ce qu’il se transforme en pâte accompagnée d’une sauce avec viande ou poisson, selon... Totò Schillaci est surpris qu’un Français assis à la même table sache se servir de ses doigts pour mouler une bouchée d’igname et la tremper dans la sauce. À l’entrée de la salle de restaurant, une réserve d’eau et du savon satisfera tous les mangeurs de foufou. Au bout de la table, Lady Apok, Parus Kekeli et Izea Ledu discutent ferme avec leur manager, Dick. Celui qui les a embarqué tout l’été 2023 sur les routes de France ; Belgique et Pays-Bas de festival en festival. En 2022, les Nana Benz du Togo étaient à l’affiche des Transmusicales de Rennes, festival dont la renommée n’a pas échappé aux trois chanteuses de Lomé ravies d’en être !


Lady Apoc tout à sa joie d’avoir "fait" les Transmusicales de Rennes, en France.
© Arnaud Galy - Agora francophone

CLAC de Tchamba

CLAC en scène !
Juste rentrées de ces trois mois magiques en Europe, les voici à Sokodé, chez elles, au Togo. Loin de Lomé, la capitale. Tchamba, Sokodé et Notsé les accueillent. Ou plutôt les CLAC de ces villes leur ouvrent les portes. CLAC ? Centre de Lecture et d’Activités Culturelles. CLAC. Acronyme qui sonne comme une porte qui se ferme alors qu’il est, en réalité, une porte qui s’ouvre. S’ouvre vers la connaissance, l’évasion, l’altérité et la camaraderie. Une porte qui ne distingue ni les religions, ni les sexes, encore moins les origines sociales. Le CLAC est une invention de l’Organisation Internationale de la Francophonie (voir texte 1) qui grâce à ses partenaires locaux* met à disposition des livres et des animateurs dans un lieu souvent unique représentant de la culture aux environs. Dans ces lieux de transmission des idées et du savoir, les Nana Benz du Togo apportent leur touche. Attention, pas juste un passage et puis s’en vont, un passage marquant. De ceux qui resteront des décennies dans la tête des gamins. Car les Nanas Benz ne doivent pas leur succès qu’à leurs capacités vocales et aux rythmes imposés par Toto et David. Elles le doivent aussi à leurs engagements féministes et écologiques inspirés par le vaudou. Leur musique n’est-elle pas un vaudou spiritual ! Au fait, le vaudou ?


Sous l’intense pluie togolaise, Izea Ledu éclaircit, pour les lecteurs d’Agora francophone, les ombres du Vaudou.
© Arnaud Galy - Agora francophone

Le CLAC de Tchamba est à une heure de route de Sokodé. Le bus zigzague tout schuss. Des arrêts protocolaires à la mairie et à la sous-préfecture sont de mise. Puis, enfin, direction le CLAC. Maire et Sous-préfet emboîtent le pas au Nana Benz’s bus ! Très vite, l’équipée est arrêtée par un grand portail fermé. Sur la grille le long de la rue, une bâche imprimée est accrochée annonçant la tournée des Nana Benz du Togo. Un groupe de gamins et quelques adultes pas bien plus vieux s’affairent autour du portail... Grâce à Dieu, il est ouvert. Le CLAC est une immense bâtisse blanche de plusieurs étages, des escaliers extérieurs lui donne un certain cachet. Beaucoup d’espace, quelques arbres très feuillus, beaucoup de motos béquillées de-ci de-là. Du personnel s’active balais et poubelles en main. Quelques enfants pointent le bout de leur nez. Ils sont en avance, mais rapidement d’autres marchent dans leurs pas. Beaucoup sont vêtus de chemises et « short  » marron clair, signe de reconnaissance des écoliers du public. Des filles, sont drapées dans des tissus colorés, certaines jusqu’aux cheveux. Sokodé est, plus ou moins, la ville qui sépare la majorité chrétienne de Lomé et du Sud du pays et la majorité musulmane du Nord. Ici, à Tchamba, un certain équilibre entre les deux religions se fait.
Des vagues, maintenant, ce sont des vagues, de jeunes déferlent. Des vélos, des motos, des chèvres, oui des chèvres s’approchent du CLAC.
Derrière le bâtiment, les Nana Benz et leurs deux musiciens terminent l’entretien avec les officiels locaux, ravis d’accueillir des vedettes internationales ! La dernière fois que le maire a vu le groupe, c’était sur un écran de télévision, lors d’une émission de TV5Monde. Et là, les 5 membres sont assis, à l’ombre, devant lui. Saine fierté. Dans quelques minutes, les « Nanas  » rencontreront 200 jeunes et dans l’après-midi, elles donneront un concert gratuit ! Qui l’eut cru il y a seulement quelques jours ?

Les vagues se sont installées sur les chaises dans la grande salle du CLAC au rez-de-chaussée. La salle où dans quelques heures le groupe se produira. Les chaises sont bien rangées. Les enfants assis, raisonnablement tranquilles même si l’excitation monte. 200 paires de sandalettes, de la couleur la plus courante à la plus improbable, sont déposées sous la chaise du copain de devant... Ou de la copine. Deux cents paires de pieds nus attendent les Nana Benz du Togo...
Les trois jeunes femmes montent les marches vers la scène. Top départ. L’alchimie entre ces trois vedettes en devenir et cette petite foule de gamins plus ou moins au courant de la raison qui les rassemble est instantanée. Reconnaissons que les trois artistes savent y faire. Elles se présentent brièvement puis Izea prend les choses en main. Martin Luther-King avait un rêve. Elles aussi. Que les jeunes filles prennent leur destin en main. Qu’elles ne laissent pas les traditions et les religions prendre le dessus sur leur avenir. L’éducation et faire des études est un droit, en dépit des problèmes économiques de la famille, argument qu’il ne faut pas négliger ou sous-estimer. Chacune apporte sa pierre à l’édifice. Le ton est celui de grandes sœurs qui partagent un vécu. Gentillesse et sérieux s’équilibrent. Les jeunes sont silencieux. Un brin de timidité bien entendu. Silencieux et attentifs. Certains ont remis leurs sandalettes. Une jeune fille musulmane, élancée, apparemment sûre d’elle, se lance : « Et si, dans une famille le père refuse que sa fille fasse des études, que doit-elle faire ? »


CLAC de Sokodé

Marcher sur des œufs, voilà ce que ressentent les membres du groupe quand arrive frontalement la question de la religion. Pas question, ni en tant qu’artistes, encore moins en présence d’enfants dans un CLAC, d’arriver avec de gros sabots et de discriminer à tout-va. Partager le monde en cases ne permettra jamais de créer une société pacifiée. Pourtant, comment faire l’autruche devant les spécificités religieuses qui sont parfaitement représentées dans la salle ? Par conviction religieuse, l’interdiction pour les filles de suivre des études, voire même d’aller à l’école, touche davantage les familles musulmanes que les chrétiennes. Mais... comment ne pas stigmatiser, froisser ou heurter en, simplement, énoncer un fait. Fait que les musulmans, qui plus est les plus rigoristes, ne cachent pas. Ce n’est pas un tabou. Marcher sur des œufs, pourtant...


Totò Schillaci, en version "unplugged*" pour ne pas froisser... (* débranché, acoustique...), seul l’orage est branché !
© Arnaud Galy - Agora francophone

Izea Ledu et Parus Kekeli ouvrent le débat vers une autre piste...
© Arnaud Galy - Agora francophone

Bien innocemment la jeune fille a brisé la glace et lancé le débat. Autant les Nana Benz s’exprimaient jusqu’alors avec conviction autant les jeunes n’étaient que des oreilles. Là, par l’intermédiaire de cette jeune fille courageuse, ils sont devenus des voix. La salle s’anima. Ça papotait, piaillait parfois, et surtout à la moindre sollicitation d’Izea et ses complices, les jeunes applaudissaient, se levaient et exprimaient un accord profond avec les paroles de leurs invitées.
Que dire de l’euphorie dansante et contestataire qui envahit le CLAC l’après-midi pour le concert ? Toto et David tapant fort sur leurs percussions faites à la maison. Les trois chanteuses prenant chacun des spectateurs par la main et les épaules les guidant vers une transe vaudouïsante, vers un idéal de liberté, vers société où chacun aurait sa place ! L’atmosphère ainsi créée ne put mener qu’à la fusion avec la jeunesse qui se pose, sans en avoir l’air, tant de questions. Sans exagérer, en marchant sur des œufs, les mots tapissés de velours, comment ne pas se dire que le discours des Nana Benz du Togo frappe droit dans la cible quand les petits et grands adolescents à l’unisson lèvent le poing au mot «  liberté  » scandé par le groupe ? Comment rester de marbre face à ces gamines voilées qui se déhanchent comme des groupies jusqu’à, pour certaines, utiliser leur voile comme les gymnastes le font avec leur ruban ? Et les petits garçons ? Éclatés de joie.
Tchamba, Sokodé et Notsé : même accueil, même folie douce, même confirmation que le combat est juste... Une question pour les Nana Benz du Togo, sont-elles conscientes de leur impact ?


La pluie est revenue mais... Izea Ledu confirme que les batteries du groupe sont à 100/ chargées.
© Arnaud Galy - Agora francophone

CLAC de Tchamba

CLAC de Notsé

Quelques mètres en recul, les « officiels » sont assis sur des chaises. Que se passe-t-il dans leur tête ? À quoi pensent-ils. À la musique ou à la société qu’ils fabriquent pour ces petits citoyens ? Le CLAC joue parfaitement son rôle. Peut-être, comme il se dit dans les milieux sportifs, a-t-il «  dépassé sa fonction ». Qu’importe. Tant mieux. Le CLAC, habituellement si studieux quand seul le bruit des pages qui sont tournées se fait entendre, a offert une journée de joie et aussi du grain à moudre à tous ces cerveaux en construction. La lecture mène à tout... Vivement l’ouverture des 8 prochains CLAC togolais. Ils aideront à construire des lendemains plus solidaires et généreux. N’est-ce pas les Nana Benz du Togo ? Vous avez pris votre part, passez le relais à d’autres... Et bonne route à vous ! Ici et tous azimuts...

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